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vendredi 11 mai 2012

Allez viens, critique: Dark Shadows, de Tim Burton


Dark Shadows, Tim Burton, Johnny Depp, poster, pic

  À l'heure où l'exposition Tim Burton échoue à la Cinémathèque après avoir fait le tour du monde, que le bonhomme se diversifie avec des productions improbables (Abraham Lincoln: Vampire Hunter), qu'il réalise un remake rallongé de l'un de ses films de jeunesse (Frankenweenie, sortie prévu pour Halloween prochain), il faut se demander ce qu'est devenu Tim Burton au cours de la dernière décennie. Si certains continuent de crier au génie, il en est pour qui La Planète des Singes (2000) a été le début de la fin, à peine corrigé par Big Fish en 2003. L'immonde étalage numérique des années suivantes, dont le point culminant est Alice en 2010, achève de poser le kid de Burbank en réalisateur bankable: Alice est le premier film à atteindre le milliard de dollars de recettes, hors période de Noël ou d'été, saison des blockbusters par essence.

Drôle d'évolution pour quelqu'un qui avait tourné le dos à Disney et cherchait à s'affranchir des studios. Il faut bien le reconnaître: l'auteur qui a su parler aux freaks de toujours s'en est allé, laissant la place à un hybride désincarné dans un premier temps ; une évolution vers la lumière, de sa rencontre avec sa future femme Helena Bonham Carter (sur le tournage de La Planète des Singes justement), aux nouvelles orientations dont Les Noces Funèbres (2005) est symptomatique: désormais, Tim Burton préfère les vivants. Mais le bougre tient bon dans sa nouvelle direction et réitère l'essai. En l'état et pour beaucoup, avec son fantastique de pacotille agité à tous les vents, Tim Burton a encore certaines choses à prouver.

La base : la série américaine Dark Shadows, feuilleton diffusé entre 1966 et 1971, racontait (entre autres) les aventures de la famille Collins, bien que le personnage de Barnabas Collins et tous les éléments fantastiques n'ont été ajouté qu'entre 6 mois et un an après le début du soap opera, à ce jour recordman du nombre d'épisodes produits (1225 en 5 ans !).
C'est à ce monument de la culture télé américaine que s'attaque Tim Burton quand il annonce en produire et réaliser l'adaptation au cinéma, tout en n'en retirant que la substantifique moelle: un cercle familial un peu spécial. Et comme d'habitude, l'ami Tim se tourne vers les collaborateurs de toujours: Johnny Depp et Helena Bonham Carter en acteurs principaux, Danny Elfman à la composition du score, pour les plus évidents.

Eva Green, Johnny Depp, Barnabas Collins,

  Entre gentille comédie, fantastique gothique dont personne ne semble vraiment s'étonner et hymne entêtant à la famille et son honneur, Dark Shadows a du mal à choisir et c'est cet étrange symbiose qui convoque l'essentiel de la réussite du film, bloqué dans la reconstitution d'une petite ville portuaire des années 70.
Le film est construit sur la même tonalité de comédie aiguillant tous ses films depuis maintenant quelques années ; cet humour un peu paresseux repose presque exclusivement sur le rapport anachronique entre le personnage de Johnny Depp et son irruption dans un monde transformé (Jean-Marie Poiré, sors de ce corps) : un humour poussif qui finit par brièvement fonctionner à force d'être à ce point ressassé. Johnny Depp continue de tourner en rond mais il faut reconnaître que l'acteur et son personnage sont rendu sympathiques par une histoire, une tragédie, bref, un semblant de construction en amont. Le fait qu'il soit grimé en ersatz de Nosferatu joue aussi totalement à son avantage, et le caractère austère de Barnabas Collins semble retenir l'acteur du cabotinage habituel, brassant dans le vent.

Pourquoi condamner un réalisateur à ce qu'il a su faire ? Peut-être malicieusement, Burton retrouve un goût du jeu fantastique avec le folklore l'ayant élevé où il est: il suffit parfois de quelques plans de forêt, d'une falaise, d'un manoir pour retrouver, certes embrumé dans une utilisation houleuse du numérique, une certaine idée de la splendeur passée. Tout l'essentiel du romantisme gothique enserre ainsi le film, dans son ouverture et son épilogue où l'on retrouve un réalisateur cruel avec ses personnages et leurs destins brisés, qui ne recule plus devant l'image crue, et choisi de l'embaumer d'une tonalité tragique et merveilleuse à la fois.
En revanche, le bât blesse dès qu'on aborde le sujet de sa mise en scène ; a priori pas totalement à l'aise avec les effets spéciaux auxquels il a souvent recours, on sent un relâchement total aux secondes équipes, et une réalisation réduite à peau de chagrin (la scène « d'amour », le final avec Chloë Moretz) qui tient souvent plus de la mauvaise blague, où la direction d'acteurs et les plans seraient le résultat d'une préparation hasardeuse. Les musiques, placées où bon lui semble, font paradoxalement respirer le film où s'ébroue un moment une rock star elle aussi anachronique, immortelle.
Eva Green, Angelique Bouchard, Tim Burton, Dark Shadows, Johnny Depp

  Le film est une nouvelle fois porté par un incroyable casting féminin, qui écrase littéralement Johnny Depp.
Chloë Moretz, qui nous a réjoui cette année dans quelques épisodes de 30 Rock, doit tout au jeu que lui impose Burton, parfois en retrait mais parfaite en adolescente colérique ; on distingue chez la jeune actrice toute l'étoffe d'une future très grande star. Ses troublantes apparitions trouvent un écho en la nouvelle venue du groupe, Bella Heathcote, au spectaculaire faciès, diaphane, presque translucide. Son double-rôle est l'une des grandes forces du film qui pour une fois, semble ne pas être en pilotage automatique.
Le plaisir du grand retour est ici offert à Michelle Pfeiffer qui retrouve Tim Burton pour la première fois depuis Batman Returns, où elle devenait à jamais dans nos cœurs Selina Kyle/Catwoman ; ravivée par un rôle de mère et de femme d'affaire, elle trouve ici une dimension supplémentaire de femme forte et digne en menant précautionneusement toute la famille, jusque dans ses derniers retranchements. Diction et présence parfaites assurées par l'actrice, qu'on n'avait plus vue depuis trop longtemps.

N'en déplaise à certains, la grande Eva Green est incontestablement la star du film ; l'actrice se lâche comme jamais dans un numéro outrancier de femme fatale gouailleuse et de sorcière carnassière réanimée par le désir absolu de faire succomber Barnabas à ses charmes. Comble de l'inattendu, le personnage qu'elle incarne parvient effectivement à devenir touchant et émouvant quand peu à peu se dévoile le tragique de sa psyché percée, à l'aide d'un procédé absolument parfait dévoilant ses fêlures. Du début à la fin, c'est un show constant où les actrices se tirent joyeusement la bourre, face aux hommes, démissionnaires.
Mia Wasikowska portait déjà tout entier Alice au pays des merveilles sur ses frêles épaules, ici c'est une dream team de cinéma qui s'en occupe, qui vampirise et sexualise le film : Tim Burton trouve un salut inespéré en la femme, comme on peut se permettre d'imaginer que Helena Bonham Carter l'a "sauvé" lui-même.

Il faut s'y résoudre et l'accepter, Tim Burton ne fera plus le même genre de fantastique qu'on a connu. Le réalisateur a évolué en parallèle de sa vie personnelle. On espère sincèrement qu'il a fini de se singer, et qu'il trouvera dans des projets futurs le regain d'intérêt qui pourrait l'inspirer. Devant Dark Shadows, certains crient encore au génie et on aimerait pouvoir s'en laisser convaincre... on se contentera de dire que la cuvée 2012 est étonnamment singulière, à l'image de son portrait de famille (ci-dessous), mais de qualité.

Dark Shadows, movie cast, Tim Burton

Trailer :

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