Étrange objet que ce Hanna post-moderne, où (pour résumer simplement) une adolescente se retrouve soudainement projetée dans une machination la dépassant. De l'anglais Joe Wright, on retient surtout ses deux premiers films: Orgueil et Préjugés, adaptation du roman de Jane Austen et film ultra stylisé, qui brisait le carcan jusqu'ici moribond du film d'époque, et Reviens-moi, histoire d'amour impossible (et lacrymal) sur fond de Première Guerre Mondiale. Au risque de juger trop vite, on n'attendait pas Joe Wright aux commandes d'un film si ouvertement contemporain, gadgetisé, presque trivial en regard des maux d'amour anglais qu'il a manié avec tant d'abnégation.
Son parti-pris est étrange et assené d'entrée de jeu: Une jeune fille est élevée loin de tout par son père, coupée du monde. Élevée à la dure, elle n'ignore rien des techniques de défense et de combats. Un jour, son père lui offre la possibilité de rejoindre le monde, sans retour possible en arrière.
Dans ce curieux conte des temps modernes règne Cate Blanchett, sorcière rousse à col roulé, sorte de descendante du personnage de Irina Spalko qu'elle interprétait dans le dernier Indiana Jones. Ses motivations sont secrètes, ses méthodes, drastiques. Elle fait appel à Tom Hollander (un habitué de Joe Wright) et lui offre un rôle de chasseur sadique fait sur mesure pour retrouver la petite fille blonde, sorte de Alice déstructurée dont le rapport aux hommes est totalement faussé par des années de réclusion.
Tout le long de sa chasse à couteaux tirés, le film développe sobrement l'art de la volatilisation des corps comme point de fuite - littéralement. Un gimmick surnaturel qui permet de prolonger la traque et les enjeux des personnages, décrits comme des êtres invincibles courant tous à leur perte, inexorablement.
Le film est dopé par la mise en scène un peu tape à l'œil de Joe Wright, à l'image de son désormais classique plan-séquence mettant en scène Eric Bana, faussé par les effets spéciaux. Le score des Chemical Brothers recouvre le film d'une enveloppe vaporeuse et de cette confusion perpétuelle des sens, issue aussi des ruptures de tons (film d'apprentissage? d'action? ou pire?), d'où s'échappent quelques thèmes entêtants rendant le film exsangue. On attend toujours plus du film, mais, modestement, il s'attache à faire progresser son intrigue par de rares points, important finalement moins que l'évolution maladroite d'Hanna et la manière dont sera résolue l'affaire.
Malgré ses qualités intrinsèques, le film est vite handicapé par une distribution artistique très étrange. Passons encore sur le couple Olivia Williams (la divine Adelle DeWitt de Dollhouse faut-il le rappeler ?) et Jason Flemyng en voyageurs hippies, mais un thriller se passant en Europe a-t-il nécessairement besoin d'hommes de mains néo-nazis, traités avec autant de fainéantise? La fausse originalité qu'on applique à ces personnages fait immédiatement tâche sur le reste du long-métrage et c'est assez circonspect qu'on assiste au déroulement des évènements, si ce n'était pour quelques séquences diablement bien troussées, rappelant qu'une mise en scène se travaille et que Wright sait aussi y faire dans ce domaine.
Saoirse Ronan, dévoilée au cinéma dans Reviens-moi du même Joe Wright, plonge dans ce mythe revu et corrigé de l'enfant sauvage et de son premier contact brutal avec le monde des hommes (qu'une sévère Cate Blanchette, rehaussée de talons, semble diriger, n'a rien d'une coïncidence). La jeune actrice a ce côté dérangeant, malaisé, qu'elle traîne avec elle en permanence, des voyages au-delà du réel de Peter Jackson, jusqu'à la marche forcée qu'elle effectue dans Les Chemins de la Liberté. Le rôle terrible qu'elle portait sur ses épaules dans Reviens-moi semble agir sur ses personnages de cinéma comme une responsabilité qu'elle se transmet de rôles en rôles.
Joe Wright est parfois émouvant dans cette volonté de ne pas signer un film d'action conventionnel, mais plutôt le voyage initiatique d'une petite fille qui découvre qu'une autre vie est possible. Le film a ainsi des envies de délivrance à hauteur d'homme qui donne un aspect bien modeste au film, tout en paraphrasant les contes germaniques qu'il cite avec déférence, au travers de ses personnages, de certains lieux ou situations bien appuyées. L'originalité est bien là mais on ne peut s'empêcher d'être un brin déçu par cette incursion fuyante, timide, presque mal assumée.
+ de Joe Wright :
- Orgueil et Préjugés (2005)
- Anna Karenina (mise à jour 2013)
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