Peu importe au final la fausse controverse entourant Lars Von Trier depuis le dernier Festival de Cannes : seul compte l’objet, le film, les quelques bribes aperçues, l'appréhension globale à l'entrée et l’impression de vertige à la sortie. Se jouant des codes du genre avec une liberté qui laisse hagard, le réalisateur entreprend son déroutant récit de veille de fin du monde, où une jeune femme fuit sa somptueuse soirée de mariage.
Au départ, c’est beau comme un couple à l’arrière d’une voiture : Justine et Michael (Alexander Skarsgard - transfuge de True Blood) célèbrent leur mariage en grandes pompes. Ces premières minutes (succédant à des tableaux muets citant les tragédies à s’abattre) posent cette jolie illusion du bonheur, ces moments volés qui forment autant de jalons dans la vie des gens. Attendue à la réception, Justine se révèle fuyante, préoccupée alors que l’étiquette en vigueur impose qu'elle exhibe un bonheur de circonstance.
Dans cette première partie, les personnages secondaires, grotesques à souhait, ajoutent à ce sentiment de solitude : Les parents de Justine (John Hurt et Charlotte Rampling) lui renvoient une image de couple brisé et amer, quand son beau-père et employeur, être humain abject, se joue des gens comme autant de pièces d’échecs. La sœur de Justine, Claire (Charlotte Gainsbourg), visiblement l’aînée et la plus terre-à-terre, entreprend de mener à bien une soirée financée par son mari (Kiefer Sutherland), frustré de tous ces caprices enfantins. Las, fatiguée, consciente de la vacuité de l’existence qu’elle s’apprête à embrasser, Kirsten Dunst illumine les tableaux, d’abord d’un sourire radieux qui finit par flétrir. On lui retrouve parfois les traits de Lux Lisbon, l’évanescente jeune fille blonde de Virgin Suicides qui n’aura pas eu le temps de grandir - et qu'on retrouverait, des années plus tard, en proie au malaise d'être restée en vie.
Son romantisme éthéré (la scène dans la forêt) et son point de vue (fataliste) font de Justine un personnage unique, difficile à cerner. Le pont, un point de passage de l’esprit (cité plusieurs fois dans le film) est une étape infranchissable, une incompréhension latente qui précipite sa chute.
Le personnage de Kirsten Dunst a cette volonté, ce renoncement pourtant positif qu'a le personnage d'en finir avec cette mascarade planifiée. La méthode jusqu'au boutiste de Lars Von Trier atteint parfois ses limites dans le pathos programmé (on peut facilement s'énerver de voir Kirsten Dunst se traîner ainsi), mais cela ne rend que plus fort la dernière partie du film où se révèle le personnage.
La première partie du film prend davantage de sens quant arrive la seconde partie, centrée sur le personnage de Claire, incarné par Charlotte Gainsbourg (et dernière victime consentante de Von Trier dans Antichrist). On y observe le dérèglement psychologique progressif d’un personnage jusqu’alors résistant face à l’adversité. Au fur et à mesure que les jours s’égrènent, elle perd ses repères, et le point de vue alarmiste qu’elle adopte n’est que la conséquence des choix de vie qu’elle a fait : son monde à elle, c’est son enfant et son mari.
On observe une persistance ordonnée des principes du dogme (caméra à l'épaule, cadres approximatifs) quand le réalisateur ne se décide pas à laisser reposer le tout pour une post-production purement (faussement) plastique. La mise en scène de Lars Von trier offre quelques beaux moments, quasi lunaires (la réception à l'extérieur, la voiture de golf dans la nuit), ou tout simplement majestueux, à l’aune de son plan final terrassant de beauté.
Comme inspiré par le vivier de talents qu’il met en scène, il parvient à une captation toute en douleur de moments intimes, où les personnages s’affrontent, débattent, théorisent, s’aiment et se haïssent. Ce discernement de la psyché humaine fait toute la force de Melancholia.
La raison, matérialisée par Kiefer Sutherland, perd la main dans cet enchevêtrement d’humeurs et d’émotions : tout impact masculin est oblitéré du film, pour que ne reste que les deux sœurs quant arrive la fin.
Ce qu’offre Melancholia, c’est la fin absolue du monde. Une fin vue par le prisme de deux personnages féminins, de la relation amour-haine qu’elles entretiennent et la façon dont elles communiquent leurs émotions. Le déchaînement d’émotion et de mal-être distillé sous cette apparence de film de genre, transcendé par ses deux actrices, ont imposé un traitement à mille lieux des canons habituels. Un pur film d’auteur, déconcertant mais surtout généreux si l’on accepte de s’y abandonner.
1 commentaires:
Les chroniques et la plume alerte de de MrWak commencent à manquer...
Merci pour ce blog grâce auquel j'ai fait pas mal de chouettes découvertes!
Je suis aussi un peu restée sur ma faim concernant la "fin" de ton aventure canadienne :).
J'espère que l'expérience était enrichissante et le retour pas trop difficile (uhum).
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