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dimanche 5 août 2012

Sortie ciné : Laurence Anyways, de Xavier Dolan

"J'ai pas menti, j'ai juste rien dit".
Xavier Dolan, Laurence Anyways, Melvil Poupaud, Cannes

Fever Ray en ouverture, Craig Armstrong pour fermer la marche, Xavier Dolan revient avec ses excès polis, ses cadres maniérés, sa mise en scène épurée pour une plongée dans la psyché d'un homme ressentant le besoin de devenir une femme à la fin des années 80. C'est Melvil Poupaud, dans probablement le rôle de sa vie, qui endosse la lourde responsabilité de faire croire au cheminement tortueux qui pousse son personnage, le jour de ses 35 ans, à ce changement. Et pourtant le personnage de Laurence (un homme, donc) existe déjà bel et bien : en couple avec sa copine farfelue, enseignant d'un lycée de Montréal, en froid avec ses parents.
Présenté au dernier Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard, le film n'a pas laissé indifférent puisqu'il est reparti avec le prix d'interprétation féminine pour Suzanne Clément (l'un des rares prix qu'on ne discutera pas cette année) : l'occasion de vérifier que Xavier Dolan a définitivement un maniérisme qui lui sied bien, une façon d'écrire et d'animer ses personnages selon une logique de cinéma lui étant propre, proche d'une certaine véracité des sentiments humains. Le délitement tragique de la relation amoureuse qu'il organise fascine et perturbe, quelle maîtrise !



Sans s’appesantir inutilement malgré sa longueur colossale (2h40), le film traverse les séquences, toutes importantes, de construction psychologique, de doutes ou de certitudes : c'est le regard d'une femme qui sourit, d'un homme curieux, d'élèves doucement remués. Dans l'absurde capharnaüm d'appartements québécois, dans les bibelots de toutes sortes, dans la campagne où l'on s'évade (aparté déjà classique chez Dolan), on suit 10 années de vie de couple, parfois en suspension, entre Laurence et Fred (l'extraordinaire Suzanne Clément, qui jouait dans J'ai tué ma mère).
Les excès superficiels de la réalisation de Dolan sont parfois présents, mais amenuisés par le fil conducteur précisément tendu : un couple dont l'amitié et l'amour cèdent sous la pression, subsistent, canalisés par le temps, avant d'essayer de se reconstruire. Le récit est parcouru de sublimes moments, de tableaux captant un instant de vie, accompagnés pour la majorité d'une bande originale entre standards français, morceaux de musique classique et de new wave pour animer une époque fantasmée que le réalisateur n'a que partiellement connue : en cette belle année 2012 pour le cinéma, monsieur Dolan fout le vertige du "haut" de ses 23 ans. La recette, déconcertante au début quand on découvre le style du réalisateur, prend finalement très vite, d'autant plus qu'on apprend au fur et à mesure à aimer ses personnages marginaux. 
Il y a tellement de films dont on nous offre les clefs dès l'ouverture, ce n'est pas le cas de Laurence Anyways qui prend le parti d'être volontairement transgressif (mais pas trop), avec le cœur nécessaire pour tenir la distance. Là où le bas blesse, c'est que le réalisateur s'attarde finalement plus sur l'histoire d'amour que sur le thème du "transgenre" qu'il aborde avec son synopsis initial, laissant en hors-champ les terribles décisions. Un mal pour un bien, sans doute.

Perdu dans les méandres de ses tableaux parfois kitsch (au sens positif), Xavier Dolan compile de sublimes séquences rythmant la vie de couple de Laurence et Fred, entre disputes et réconciliations. L'interprétation assez exceptionnelle des deux acteurs est capable de traduire à l'écran les sentiments terribles qui les parcourent. Leur relation initiale est, on le sent, passionnelle et forte. Que devient un tel amour face à l’épreuve annoncée, qui n'est pas une catastrophe s'abattant de nulle part, mais bien un choix de vie ? Le film peut sembler classique dans son traitement premier de la décision de mêler les genres, mais le sujet est bien vite transcendé et tourne autour de la difficulté de vivre simplement, comme on l'entendrait. Le film encadre rapidement cette décision forte, personnelle et à la revendication aussi politique ("c'est une révolution" souffle malicieusement Laurence), dans un certain contexte des années 90, en grande partie fantasmé.
En compilant méthodiquement les saynètes révélant peu à peu ses personnages esseulés, Xavier Dolan raconte une histoire d'amour incroyable et peint des passages entêtants où Nathalie Baye, notamment, continue de faire vivre le spectre omniprésent d'une mère difficile d'accès, vers laquelle se tourne son enfant écartelé d'émotions.

Au-delà de la simple ode à la différence, une histoire sur l'amour et son inexorable perte.



On parlait ici brièvement de J'ai tué ma mère et Les Amours Imaginaires, les deux premiers films de Xavier Dolan.

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