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mercredi 22 juillet 2009

Deux films, une époque: Public Enemies/Les Sentiers de la Perdition

Parallèle entre deux films, partagés entre Prohibition et Grande Dépression : Public Enemies et Les Sentiers de la Perdition.
D'un côté, le bandit John Dillinger dans l'éprouvant exercice du biopic mêlé à l'Histoire, de l'autre, un homme de main plongée dans une traque vengeresse, petite histoire noyée dans la grande.
Dans le cas de Public Enemies, le terme de biopic est en fait impropre, Michael Mann s'offrant la tranche de vie d'un Dillinger déjà connu des services de police, jusqu'à sa chute annoncée. Le rôle de Billie (Marion Cotillard) encadre curieusement cette période, des rencontres jusqu'aux séparations, et ce, même si la description de son rôle se limite à être éprise de Johnny. Une perche tendue amenant cette réplique parfaite de son compagnon : "I like baseball, movies, good clothes, whiskey, fast cars... and you."
Et même si le film ne donne pas le temps à Johnny de se la couler douce aux bras de la française (qui loupe ses scènes une fois sur deux), on perçoit tout au long du film cette audace et cette assurance qui aurait pu leur réussir. Loin de se conformer au schéma vieillot type « grandeur et décadence » Michael Mann a vu biger than life sur une période trop courte : comme si John Dillinger n’avait jamais eu le temps.
Le titre Public Enemies fait aussi écho aux titres de la presse de l'époque et de la propagation de l'information. La séquence du "Regardez votre voisin" au cinéma montre que les grands moyens étaient mis en œuvre pour retrouver le fuyard, malgré le vote de sympathie de la population. Plusieurs rappels visuels et répliques ("We're not here for your money, we're here for the bank's") rappellent qu'en ces temps de disette, l'américain moyen n'a plus rien et se tourne vers des "héros" d'un genre nouveau. Un peu comme le graphic-novel From Hell de Alan Moore autopsiait les débuts de la presse écrite et ses répercussions, Public Enemies guette les réactions de son public et le fait qu'à tourner en dérision les services de police chargés de le capturer, John Dillinger renonce à son anonymat en même temps qu'il devient célèbre.

La précision de la reconstitution est impressionnante et redoutable, dans ses plans et ses profondeurs de champs, grâce à une captation parfaite en HD n’ayant d’équivalent que ce qu’œil pourrait voir. Mann en profite pour construire ses plans suivant des lignes fuyantes, perdant ses personnages dans l’impressionnante architecture de la ville, entre gratte-ciels et ligne de métro suspendus, attirant l’œil à tous les coups. Le rendu Haute Définition rend l'image de ce film d'époque quasi anachronique, une sensation à expérimenter toutes affaires cessantes ! Même les plus petits plans regorgent de détails dans leurs arrière-plans et l'effet "nu" de réel qui s'en dégage semble rendre tout trucage impossible : les décors embrassés par la caméra semblent aussi authentique que si on s’étaient transportés dans l’Amérique de la Grande Dépression. On connaît le perfectionnisme de Mann qui n’hésiterait pas à recréer des quartiers entiers en décors réels plutôt que de faire appel à des effets spéciaux…
Seule faute de goût, un plan de fin de règne qui sort de nul part et certainement pas d'un film de Michael Mann, retombant dans les travers du film américain déifiant sa victime, faux héros. Mais Michael Mann n'arrive pas à aller au-delà de ce qu'il veut montrer et on se demande si Depp n'est pas une erreur de casting.
De superbes séquences, il y en a un paquet dans ce Public Enemies, dont une montrant Dilinger furetant incognito dans les locaux de la police alors qu'il est recherché par tous. Une séquence traitée un peu trop à la cool, servant la soupe à sa star. Si Christian Bale, monolithique, arrive à représenter n'importe lequel des G-Men de l'époque, Depp reste Depp et on ne voit que lui. Après Johnny le pirate, Johnny le gangster...
Un côté gangster clairement assumé tout au long du film, où se mêlent robes longues et manteaux d’hivers typiques d’une époque à présent révolu. Au milieu de ce ballet reconstitué, quelques poursuites et beaucoup de fusillades, dont les balles résonnent encore aux oreilles : à croire que le film a été tourné à balles réelles tellement le résultat, visuel et sonore est bluffant de réalisme et de violence. Si la caméra HD ne percevait pas si bien les actions dans l’obscurité, on jurerait que ce sont les coups de feu qui éclairent les plans (et en fait, c'est bien le cas).

Malgré son choix classique de narration n’apportant rien à l’histoire, Mann trouve l’originalité dans son visuel, inédit, et nous offre un film qui sent bon la poudre de Thompson et le phosphore des appareils photos.

Les Sentiers de la Perdition est adapté d'un graphic-novel écrit par Max Allan Collins et dessiné par Richard Piers Rayner, paru en 1998. Prenant place en 1933, l'histoire suit la vengeance d'un homme de main forcé de s'en prendre à son employeur l'ayant trahit. Le graphic-novel original, entièrement en noir et blanc, est composé de trois parties distinctes où l'ordre établit change très vite, entre tragédies familiales (de sang et "recomposées" suivant l'ordre mafieux), menées par une fuite en avant et une quête vengeresse.
Dans l’adaptation ciné, réalisée par Sam Mendes, l'homme de main en question est incarné par Tom Hanks ; Choix curieux et discutable, Hanks tendant à représenter la part du gentil américain au cinéma depuis des années. Mais au début du comics comme du film, le personnage de Michael Sullivan est un père de famille à la façade travaillée, avant de basculer.

La petite histoire se confond très vite dans une certaine réalité historique, aux abords d'une même ville : Chicago, siège mafieux incomparable. Tom Hanks va d'ailleurs rendre visite à Frank Nitti, bras droit d'Al Capone dans la réalité, pour lui demander de l'aide. Si le graphic-novel se donne le luxe de représenter Capone lui-même (gêné par la vengeance de Sullivan), le film se gardera de le faire. Pour autant, Frank Nitti, personnage inévitable de l'époque, apparaît aussi dans Public Enemies, comme garant d'une certaine authenticité.

Réalisé académiquement par Sam Mendes, le film s'enrichit de quelques situations et du personnage de Jude Law, absent du comics. Il y campe un tueur, obsédé par la capture photographique des derniers instants des mourants, engagé pour liquider Sullivan. Un ajout intéressant permettant de contrebalancer le caractère omniprésent de Tom Hanks.

Cependant, le film de Mendes perd de son ambiguïté dans l'adaptation, le mal étant symbolisé par un seul homme aux torts bien soulignés (Daniel Craig), quand dans le comics, c'est un choix bien moins manichéen qui est mis en exergue. Sans doute pour ne pas se mettre à dos une partie du public, le film met en retrait l'importance de la religion au cœur de la communauté irlandaise dont est issu Michael Sullivan et son entourage. Le personnage perd beaucoup en âme dans le processus, notamment dans ses échanges avec son fils. Sa volonté à toute épreuve de ne pas impliquer son fils dans ses activités reste au centre des débats, malgré la mission qu’il essaie de finir en parallèle. Très souvent dans le comics, Michael Jr (son fils) cite la Bible, perdu entre son éducation et les actions auxquels ils assiste. Ses questions remettant en question les actes de son père sont pour la plupart boutées en touche faute de réponses satisfaisantes. Le duo, pour la plupart du temps silencieux, voyage en voiture pour rester mobile et échapper aux tueurs à leurs trousses.

L’une des qualités de la mise en scène de Sam Mendes est de rendre Tom Hanks virtuellement invincible. Sans tomber dans le vigilante grâce au contexte de l’époque, « l’ange de la mort » (surnom dans le comics, non réutilisé dans le film) s’affranchit de sa mission petit à petit. Impossible de douter de lui, même dans les actions discutables dans lesquelles il se lance.
Même si au final on croit peu à Tom Hanks dans le rôle d'un tueur appliquant sa vengeance, le film se déroule comme une toile de Hopper et les 20 dernières minutes apportent enfin un peu d'âme à cette reconstitution un peu trop parfaite.

- Public Enemies, de Michael Mann (cinéma)
- Les Sentiers de la Perdition, de Sam Mendes (DVD)
- Les Sentiers de la Perdition (comics), paru en France dans une version intégrale chez Delcourt.

2 commentaires:

JuLien a dit…

J'ai qu'une chose à dire pour ta critique de Public Enemy, wahow ! L'érudition cinématographique qui en ressort est assez énorme ... Et ça donne vraiment envoe de voir le film, sans trop spoiler ! Nice work !

mrWak a dit…

Salut mec, merci pour ton passage, ça me flatte et m'encourage. Mais je triche, je fais que ça, de mater des films... ^^
D'habitude je spoile moins mais dans le cas d'un film de Michael Mann, il faut quasiment prendre les scènes une par une pour les disséquer. Le film est hyper dense niveau personnages, seule l'intrigue générale pêche un peu. A voir !