Annoncé depuis plusieurs années comme un projet tout aussi mystérieux que l'est son auteur, Tree of Life devait être présenté à Cannes en 2010, avant de se voir repoussé à l'édition de cette année où la patience et la méticulosité de Terrence Malick semblent avoir payé : reparti avec la Palme d'Or du festival, le film ne laisse pas indifférent les spectateurs s'essayant à l'expérience.
Situé en partie dans les années 50, Tree of Life suit la vie d'un couple et de leurs trois enfants dont l'aîné assiste, impuissant, à la fin de l'innocence.
A l'image de sa bande-annonce, impressionnant travail à regarder en boucle, Tree of Life est d'une beauté sidérante qui semble tout à fait inédite. Le film en son entier est un voyage émotionnel d'une rare pureté, qui en dit long sur l'individu et ses choix, sur sa façon d'influer sur le monde, lui-même et ceux l'entourant ("if you do not love, your life will flash by"). Des questionnements difficilement traduisibles sur pellicule, qui, avec le cheminement personnel du personnage, portent sur l'origine et le sens de la vie (les Monty Python s'y sont aussi essayé), sur l'existence de la foi et du combat quotidien, à hauteur d'homme, vers une probable illumination ou simplement, une réponse ("Some day we'll understand it all, all things"). Des années plus tard, c'est justement ce fils aîné (Sean Penn), survivant, que l'on retrouve, au cheminement spirituel erratique, perdu.
Les comédiens sont éblouissants. Ces quelques corps qui peuplent le film sont les parfaits réceptacles du récit. Lancinante, la caméra les caresse de l'objectif, les entoure et capte des moments paraissant inédits, profondément touchants ; des visages filmés si près, dont on lit les tourments sans embarras, qu'on est tenté de détourner pudiquement le regard.
Brad Pitt, dont le statut aurait pu vampiriser le film, est au contraire en retrait, tout entier dévoué à la cause de Malick. Loin de parader, l'acteur accepte la prise de risque, l'âge, le rôle, et se fond tout entier dans cette figure de père autoritaire, double invariable de Dieu, à la colère incompréhensible, châtiant pour éduquer ("the way of nature"). Comme le questionne Job dans la Bible, citée en ouverture, quel est ce Dieu qui martyrise les hommes qu'il semble pourtant aimer indéfectiblement ? Ici, le parallèle est dressé.
Sans réponses préfabriquées, laissez-vous submerger par l'émotion insondable de Jessica Chastain (les premières minutes du film sont d'une beauté terrassante), les plans à la National Geographic des origines du monde, les virevoltements de la caméra autour des corps, ou ceux, proprement hypnotisant, du choc des vagues et du ressac infini... "The way of grace", incarnée par la figure de la mère, est une création divine. Un être si évanescent qu'on a trop peur de le perdre dans les méandres de la corruption inhérente au monde. Fondamentale, elle l'est assurément, tout comme l'est Jessica Chastain maintenant à nos yeux.
Tout appelle à la contemplation, comme une introspection sur grand écran où les personnages questionnent leurs rapports à Dieu, leur place dans l'univers, et de façon certes naïve, les traditionnels questionnements philosophiques tenaillant les hommes. Si le tout n'est pas d'une subtilité à toute épreuve (tout représenter n'était peut-être pas une si bonne idée), le travail a le mérite d'exister, réalisé en totale ostracisme certes, mais avec une abnégation et un sens du devoir proprement bouleversants.
Le film décrit avec une rare acuité la relation parents/enfants, les rapports de force en jeu à mesure que le temps passe et les préceptes d'une éducation menée de main de fer. Noyés dans le flot d'information continue du film, ces moments de pause dans un espace temps que l'on contrôle (le passé des personnages et de Malick lui-même) touchent et émeuvent, nous renvoyant à notre propre position de spectateurs.
Les dialogues sont rares, et tout le film est porté par ce flottement, ce poème inachevé, cette pensée toujours active, matérialisée par une voix off et par les interventions des comédiens, qui parcourent le film comme une épine dorsale nécessaire. La chute de la cellule familiale telle que décrite par Malick est terrible, et le centre d'un récit aux ramifications multiples.
Volontairement abscons, le film se vit plutôt qu'il ne se comprend vraiment, et c'est dénué de sarcasmes qu'il faut se prêter au jeu ; devant l'ambition incroyable de ce Tree of Life (entre autres, la vie d'une famille comme reflet de la Vie - là aussi c'est désuet), Terrence Malick embrasse ses thématiques à bras-le-corps et avec un sens touchant de la représentation, poussant aussi loin que possible la crédulité du spectateur face au spectacle désarmant, inouï et total qui s'affiche de façon tangible sur grand écran. Cette frontière passée, nombreux sont ceux à arrêter les frais, quand l'importance de la réflexion est à venir pour le cheminement du personnage de Sean Penn, et celui, plus personnel que l'on peut en retirer chacun de son côté.
Un point de vue comme un autre, qu'on peut choisir de suivre ou pas, mais qu'il faut en tous cas respecter tant la démarche à ce petit quelque chose d'héroïque et de fragile.
Totalement ragaillardi par cette expérience de cinéma, Terrence Malick est déjà en tournage de son prochain film avec entre autres grands noms au moment où l'on écrit ces lignes, Ben Affleck et Rachel McAdams (les craintes de voir le film vampirisé par un choix d'acteurs sont de nouveau bien réelles). De la part du plus discret des réalisateurs - 5 films en 40 ans, chapeau -, l'annonce du projet est accueilli dans la liesse la plus totale, pour ce Untitled Terrence Malick Project décrit comme "a powerful and moving love story". Même en se vendant de la sorte, on y croit dur comme fer.
Revient, Malick.
9/10
Situé en partie dans les années 50, Tree of Life suit la vie d'un couple et de leurs trois enfants dont l'aîné assiste, impuissant, à la fin de l'innocence.
A l'image de sa bande-annonce, impressionnant travail à regarder en boucle, Tree of Life est d'une beauté sidérante qui semble tout à fait inédite. Le film en son entier est un voyage émotionnel d'une rare pureté, qui en dit long sur l'individu et ses choix, sur sa façon d'influer sur le monde, lui-même et ceux l'entourant ("if you do not love, your life will flash by"). Des questionnements difficilement traduisibles sur pellicule, qui, avec le cheminement personnel du personnage, portent sur l'origine et le sens de la vie (les Monty Python s'y sont aussi essayé), sur l'existence de la foi et du combat quotidien, à hauteur d'homme, vers une probable illumination ou simplement, une réponse ("Some day we'll understand it all, all things"). Des années plus tard, c'est justement ce fils aîné (Sean Penn), survivant, que l'on retrouve, au cheminement spirituel erratique, perdu.
Les comédiens sont éblouissants. Ces quelques corps qui peuplent le film sont les parfaits réceptacles du récit. Lancinante, la caméra les caresse de l'objectif, les entoure et capte des moments paraissant inédits, profondément touchants ; des visages filmés si près, dont on lit les tourments sans embarras, qu'on est tenté de détourner pudiquement le regard.
Brad Pitt, dont le statut aurait pu vampiriser le film, est au contraire en retrait, tout entier dévoué à la cause de Malick. Loin de parader, l'acteur accepte la prise de risque, l'âge, le rôle, et se fond tout entier dans cette figure de père autoritaire, double invariable de Dieu, à la colère incompréhensible, châtiant pour éduquer ("the way of nature"). Comme le questionne Job dans la Bible, citée en ouverture, quel est ce Dieu qui martyrise les hommes qu'il semble pourtant aimer indéfectiblement ? Ici, le parallèle est dressé.
Sans réponses préfabriquées, laissez-vous submerger par l'émotion insondable de Jessica Chastain (les premières minutes du film sont d'une beauté terrassante), les plans à la National Geographic des origines du monde, les virevoltements de la caméra autour des corps, ou ceux, proprement hypnotisant, du choc des vagues et du ressac infini... "The way of grace", incarnée par la figure de la mère, est une création divine. Un être si évanescent qu'on a trop peur de le perdre dans les méandres de la corruption inhérente au monde. Fondamentale, elle l'est assurément, tout comme l'est Jessica Chastain maintenant à nos yeux.
Tout appelle à la contemplation, comme une introspection sur grand écran où les personnages questionnent leurs rapports à Dieu, leur place dans l'univers, et de façon certes naïve, les traditionnels questionnements philosophiques tenaillant les hommes. Si le tout n'est pas d'une subtilité à toute épreuve (tout représenter n'était peut-être pas une si bonne idée), le travail a le mérite d'exister, réalisé en totale ostracisme certes, mais avec une abnégation et un sens du devoir proprement bouleversants.
Le film décrit avec une rare acuité la relation parents/enfants, les rapports de force en jeu à mesure que le temps passe et les préceptes d'une éducation menée de main de fer. Noyés dans le flot d'information continue du film, ces moments de pause dans un espace temps que l'on contrôle (le passé des personnages et de Malick lui-même) touchent et émeuvent, nous renvoyant à notre propre position de spectateurs.
Les dialogues sont rares, et tout le film est porté par ce flottement, ce poème inachevé, cette pensée toujours active, matérialisée par une voix off et par les interventions des comédiens, qui parcourent le film comme une épine dorsale nécessaire. La chute de la cellule familiale telle que décrite par Malick est terrible, et le centre d'un récit aux ramifications multiples.
Volontairement abscons, le film se vit plutôt qu'il ne se comprend vraiment, et c'est dénué de sarcasmes qu'il faut se prêter au jeu ; devant l'ambition incroyable de ce Tree of Life (entre autres, la vie d'une famille comme reflet de la Vie - là aussi c'est désuet), Terrence Malick embrasse ses thématiques à bras-le-corps et avec un sens touchant de la représentation, poussant aussi loin que possible la crédulité du spectateur face au spectacle désarmant, inouï et total qui s'affiche de façon tangible sur grand écran. Cette frontière passée, nombreux sont ceux à arrêter les frais, quand l'importance de la réflexion est à venir pour le cheminement du personnage de Sean Penn, et celui, plus personnel que l'on peut en retirer chacun de son côté.
Un point de vue comme un autre, qu'on peut choisir de suivre ou pas, mais qu'il faut en tous cas respecter tant la démarche à ce petit quelque chose d'héroïque et de fragile.
Totalement ragaillardi par cette expérience de cinéma, Terrence Malick est déjà en tournage de son prochain film avec entre autres grands noms au moment où l'on écrit ces lignes, Ben Affleck et Rachel McAdams (les craintes de voir le film vampirisé par un choix d'acteurs sont de nouveau bien réelles). De la part du plus discret des réalisateurs - 5 films en 40 ans, chapeau -, l'annonce du projet est accueilli dans la liesse la plus totale, pour ce Untitled Terrence Malick Project décrit comme "a powerful and moving love story". Même en se vendant de la sorte, on y croit dur comme fer.
Revient, Malick.
9/10
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