Les raisons de mettre en chantier un blockbuster diffèrent suivant la façon dont on veut être perçu ; joignant l'hommage au mercantile, c'est à l'occasion des 100 ans de la création de John Carter par le romancier Edgar Rice Burroughs que Disney a mis en chantier cet énorme film, débauchant Andrew Stanton de la team Pixar (Wall-E, Nemo) pour en assurer la réalisation. Brad Bird (Les Indestructibles, Ratatouille) s'en était sorti à merveille sur Mission: Impossible 4, son premier film live: la chance des grands artisans se poursuit-elle avec cet essai, pensé comme le premier jalon d'une nouvelle épopée ?
Oui et non, tant le chantier se révèle démesuré avec ce film, possible premier chapitre d'une nouvelle saga, à l'heure où Star Wars sommeille, satisfait de sa prélogie nauséeuse.
Nanti d'un budget pharaonique de 250 millions de dollars, l'enjeu est énorme pour Disney et Andrew Stanton qui doivent adapter une saga populaire, matrice de tout un pan de la science-fiction, et la vulgariser à destination d'un public qui doit en comprendre les tenants et aboutissants en l'espace d'un film.
Pour l'histoire, John Carter (mêmes initiales qu'un autre sauveur) trouve ses racines dans la littérature fantastique du début du 20ème siècle. Le personnage est créée par Edgar Rice Burroughs (à l'origine de Tarzan, 1912), qui est alors un contemporain de Robert E. Howard (Conan, 1932). A l'époque, ceux-ci composent de leurs mots les prémices d'une littérature de science-fiction et d'heroic fantasy continuant de faire référence.
Du coup, rien n'est réellement original dans le film, tant la science-fiction a évolué depuis. Mais les bases sont bien là, jusque dans son étrange introduction qui voit un soldat sans patrie en pleine Guerre de Sécession se faire téléporter sur Barsoom, la planète Mars que l'on connaît. Les amorces de cette histoire sont étranges, en lien absolu avec ce qu'a pu imaginer à l'époque l'auteur du Cycle de Mars, quand la science-fiction n'existait pas ; d'où l'apparition d'étranges et beaux concepts comme la préservation du corps "radiographé" sur une autre planète (siège d'entrée et de sortie du film), les rumeurs entourant des êtres épiant les humains trop curieux, l'implication fictive de l'auteur lui-même, ou encore cette étrange correspondance entre Ouest américain et monde alien, engageant le western et le space opera.
Le monde décrit est sublime et parvient facilement à s'affranchir d'autres sagas spatiales bien connues. Remplis d'images magnifiques tournées en décors réels, qui prêtent à rêver et à s'imaginer un monde poétique en plein désert, le film déroule sa pellicule avec l'idée de repartir sur des bases de plaisir absolu, à l'image d'une ouverture sur Mars pleine d'enseignement où John apprend l'art de la chute. Cette générosité est constante, dans les détails d'une civilisation étrange, ses créatures, ses modes de vies brièvement expliqués et la sensation d'opulence qui s'en dégage.
Mais l'introduction aux codes de la planète est menée tambour battant, tant et si bien qu'on se perd vite en conjectures quant aux véritables plans et enjeux de chacun ; si au départ, on identifie le conflit de façon très manichéenne, les intrigues de palais, les faux-semblants et les jeux de masques prennent un tour assez tordu par la suite, au point qu'on en perd facilement la trame exacte (mention spéciale au personnage métamorphe de Mark Strong, énième méchant de sa filmographie).
Pas réellement importante au final, l'action est majoritairement brouillonne et aérienne, loin de la lourdeur des corps propres à l'heroic fantasy (on est loin des illustrations de Frazetta). Pourtant, on finit par s'attacher totalement aux péripéties en cours, où John Carter, échoué sur une planète inconnue, est tiraillé entre les indigènes l'ayant capturé et les intérêts de deux nations sur le point de se briser. Qu'on connaisse ou non l'univers, il est étrange de voir se promener la princesse Deeja Thoris, aux troublants yeux bleus. Après des années de production comics fantaisistes où les auteurs s'en donnaient à cœur joie (aah les couvertures de chez Dynamite), Lynn Collins lui apporte une certaine ferveur et une présence apaisante. Si la jeune femme "au corps cuivré" est loin d'avoir les traits de la princesse sans défense qu'on lui prête (l'occasion d'en remontrer à John), elle n'en reste pas moins demandeuse d'un "héros" susceptible de lui apporter son aide. Taylor Kitsch, tous muscles bandés à chaque plan, fait parfois peine à voir, mais déclame son texte et se débat avec les créatures de synthèse avec un plaisir communicatif. On se prend parfois à imaginer un Sawyer au charisme déjà évident prendre sa place...
Au final, il est extrêmement satisfaisant de voir un blockbuster s'émancipant en partie des contraintes ridicules habituellement en vigueur: on suit des adultes dans un film fantasmant une aventure incroyable, où puérilité et cynisme sont balayés du revers de la main. Les quelques gags disséminés fonctionnent joliment, au sein d'une production old-school doté d'un souffle de serial qui fait plaisir ; les batailles rangées ne sont pas vraiment lisibles, et l'aspect de brouillon est sans cesse renforcé par le saut, mouvement formel qui libère le personnage (grâce à son rapport à la gravité): toute son action est ensuite liée à cette capacité. S'y dessine un concept étrange où, sans cesse entravé, John Carter se libère par le saut et finalement prend parti pour exister et assumer son rôle de sauveur malgré lui... (un court running-gag au début du film, avec Bryan Cranston, porte déjà sur l'évasion)
Reste à la surface un superbe ressenti de plaisir bon enfant où tous les sentiments seraient exacerbés, exagérés, pour faire avancer l'intrigue malgré la relative déchéance sentimentale, imputé au remontage effectué par Disney sur le film, suite à des différends artistiques. Le film, d'une durée de 2h20 (!), contient quelques aberrations psychologiques majeures, problèmes attestant du changement de rythme progressif de l'intrigue où tout doit aller plus vite: John pige tout, tout de suite, les petits caprices de chacun sont vite acceptés et le tout tâche de filer droit au moment de lier les intrigues pour le grand final.
Miroir des troubles du soldat, quelques flashbacks d'une vie passée trop vite quittée creuse un peu le passé du guerrier Carter, notamment dans une scène de bataille qui en fait trop, mais émeut brièvement, et laisse deviner le plaisir total qu'on aurait pu ressentir si la chose avait été mieux pensée. Pourtant, la première heure du film est un modèle du genre où Andrew Stanton pose son univers et ses personnages avec le calme et la lucidité nécessaires.
Fort d'une identité originale, il a visiblement été compliqué pour Disney de vendre le film correctement ; amputé d'une partie de son titre (John Carter "of Mars") pour éviter de s'aliéner une partie du public, mal promu, sans grosses têtes d'affiches (les plus connues font les voix des créatures), ça n'a pas loupé et John Carter est en train de s'écrouler au box-office américain, mais pourrait sur le long terme se rattraper au niveau mondial.
C'est tout le bien qu'on lui souhaite, en espérant que ce semi-échec commercial n'entrave pas les futurs projets de Andrew Stanton.
Trailer:
1 commentaires:
Jc arrive juste 20 ans trop tard comme tu le dis si bien. même en ayant en tête que c'est l'histoire originale qui été pompée de partout, c'est dur d'en faire abstraction.
Mais voilà, John Carter, il est cool (jusqu'à ce que...), les martiens, ils sont étonnamment cruels de base (jusqu'à ce queà et je trouve que les costumes et les décors sont dans le même ton : un peu kitsch mais un peu fun !
Mais voilà, le "jusqu'à que", c'est la grognasse qui débarque et qui fout tout le potentiel badass du film par terre... Alors oui, c'est du disney, m'enfin, la boite a montré parfois qu'elle pouvais faire des princesses en détresse très cool. Ici, c'est l'inverse, la princesse cool est en détresse et entraîne le navire avec elle.
Reste des moments épiques, un film joyeux par son début, sa fin et ses moments de bravoure, un bon moment mais sans plus (merci à Madame). Gros flop aujourd'hui, c'est dommage parce que j'aime bien John Carter de Mers ou d'ailleurs.
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