"Haven't you heard? The world has come to an end".
I want to be a macho man |
Cela fait maintenant 5 ans qu'on attendait que Guillermo revienne parmi nous, 5 années durant lesquels le succès relatif de Hellboy 2 au cinéma aura handicapé la mise en chantier de nombreux projets : l'adaptation du roman de Lovecraft, Les Montagnes Hallucinées, repoussé aux calendes grecques, un éventuel Frankenstein et un hypothétique Hellboy 3. Après avoir finalement refusé de s'atteler à la nouvelle trilogie du Hobbit que Peter Jackson lui amena sur un plateau d'or (il en reste néanmoins scénariste et consultant), Del Toro a affirmé son statut de producteur à succès aux travers de nombreuses productions (Splice, Julia's Eyes, L'Orphelinat, Mama, pour ne citer qu'eux). Bref, Guillermo del Toro est l'homme de bien des projets, sans malheureusement l'appui financier et la liberté artistique dont il aurait besoin pour les mener à bien.
Avec ce nouveau film, Del Toro en revient inlassablement aux monstres qu'il aime tant, reprenant très schématiquement le concept de Godzilla, tentative culturelle japonaise de représenter et d'exorciser la peur et les dangers du nucléaire, en lui adjoignant une donnée réflexive typique du film de monstres : nous sommes les véritables monstres. Guillermo del Toro prend la maxime au pied de la lettre avec sa tagline : to fight monsters, we have created monsters.
Kaiju alert !! |
Le fabuleux générique à base d'extraits de journaux télévisés et d'images "d'archives" couplés à une voix-off installe la situation, laissant le spectateur suffisamment ouvert à cette proposition de fantastique dans un état extatique : en 2013, une brèche au fin fond du Pacifique a permis à de gigantesques créatures sous-marines (Kaiju) d'arriver sur Terre pour y faire des dégâts à la hauteur de leurs statuts de catastrophes (sur)naturelles. Après plusieurs assauts et devant la pression mondiale, les nations concernées s'allient pour construire de gigantesques robots (Jaeger) pour répondre de façon "proportionnée" au problème.
Et c'est avec une touchante joie de revenir à des plaisirs simples et en appelant à un imaginaire très régressif que le plaisir devient communicatif : gigantesques robots aux designs étranges (look carré de tank pour les russes, style avion de combat pour les américains), armes offensives dissimulées au coeur de leurs armures (missiles et… katanas), innovations farfelues à la Goldorak (le rotor logé sur le coude pour un coup de poing plus offensif)… bref, c'est une réjouissance de chaque instant, surtout quand del Toro met en place tous ses pions pour des plans incroyables à faire baver d'envie : voir des hélicoptères transporter les robots vers les zones de combats, puis les lâcher au bout milieu de l'océan suffit pour savoir qu'on n'a pas affaire à n'importe quel type de divertissement (et le score rock tonitruant rend particulièrement heureux à de nombreuses occasions).
Suit-up : l'univers généré aux couleurs chamarrées est prodigieux |
Surtout, tout un pan du film est consacré à la technique développée pour piloter ces machines, séquences qui s'appliquent énormément à maintenir sa suspension d'incrédulité : les combinaisons, les capsules de pilotage, le fait de réunir deux consciences de pilote grâce à la science pour gérer à eux-deux les déplacements du robot, et toute la partie combat où chacun contrôle un bras dans une unité d'action donnée. Dans un clin d’œil malicieux au spectateur, la voix féminine de l'ordinateur principale est la même que celui du jeu vidéo Portal… Alors, tu la sens la déférence de fan-boy ? Le résultat est tétanisant de beauté, pour qui serait prédisposé à ce genre de film dont del Toro se fait un héraut inédit, chargé d'apporter un peu d'âme aux blockbusters du monde. Pour les autres, nier le spectaculaire de l'entreprise est inutile : la générosité de l'ensemble (couleurs, sons, expérience générale) balaie tout sur son passage.
Avec un production design incroyable, Del Toro installe tous ces éléments dans un fantastique familier, un futur que l'on peut se représenter, pas aussi luxueux qu'on pouvait l'attendre. L'ensemble du film baigne dans cet univers métallique, érodé, rouillé, première représentation d'une humanité revenue à genoux depuis Matrix Revolutions et son peuple aux origines mixtes portant des haillons, pilotant des méchas. C'est un signe des temps, Idris Elba le dit lui-même : "Haven't you heard? The world has come to an end". La beauté générale et l'unité de l'univers créées continue d'imposer del Toro comme l'un des grands conteurs du cinéma, capable de subtiliser le propos arriviste du blockbuster par une essence plus délicate, où la forme sert toujours un fond, qui, quoique dilué ici, reste profondément émouvant.
Gipsy Danger, jaeger de folie parmi d'autres impressionnants spécimens |
Classiquement chez le réalisateur, un face-à-face versé dans les arts martiaux oppose deux personnages (la séquence est étonnamment émouvante) et permet de mesurer les forces en présence. Pas de rapports de force cependant dans la relation entre Raleigh et Mako, qui se découvrent et combattent côte à côte par la suite. Chacun cache un trauma : Raleigh a perdu son frère lors d'un assaut mais trouve en Mako une partenaire à sa mesure, quand celle-ci cherche à exorciser la mort de ses parents dans une attaque passée, évènement qui motive alors tout son entraînement ; elle a d'ailleurs retrouvé une figure paternelle en la personne de Marshall Pentecost (Idris Elba, malheureusement relégué à un second rôle), grand organisateur de cette foire aux monstres. Chacun se reconstruit partiellement pendant le film, au contact les uns des autres et des rebondissements de l'intrigue lorgnant vers le classique roman d'apprentissage (une entorse technologique permet aux underdogs de revenir sur le champ de bataille). Sans doute poussé à choisir de belles gueules, del Toro choisit Charlie Hunnam de Sons of Anarchy pour incarner son personnage principal. Etrange cependant, que tous les personnages masculins, à l'exception de Idris Elba, se ressemblent autant, comme s'il étaient interchangeables.
Pas chauvin et sachant à qui il doit sa source d'inspiration, del Toro place l'essentiel de son action sur le front du Pacifique, plus particulièrement en Chine où des garnisons entières attendent la prochaine crise et essaient d'endiguer la situation avant que les Kaijus ne gagnent les terres. L'actrice Rinko Kikushu, déjà vue dans Babel (nominée à l'Oscar en 2007) et en complice muette d'une bande d'arnaqueurs dans Les Frères Bloom, prend en charge l'un des premiers rôles, celui de Mako. Elle devient celle par qui une majorité de l'investissement émotionnel passe, notamment via l'une des plus belles séquences du film, un flash-back tétanisant, retraçant un trauma passé. Tout au long du film, on voit comme del Toro tient à rendre hommage à un pan de la culture asiatique (le Kaiju est japonais mais le film se passe en majorité aux abords de Hong-Kong), jusque dans ses détails dont un marché noir florissant (réminiscence directe de Hellboy 2) révélant un personnage haut en couleur, typique de l'univers du réalisateur et de ses pointes d'humour noire : un énième argument démontrant comme l'équipe a pensé en amont son univers (imaginant ici comment certaines personnes pourraient tirer profit de la situation).
Archétype de relation certes, mais porté par un récit d'apprentissage généreux |
Le tout culmine dans un mélange d'émotion et de fascination bon enfant pour ces gigantesques pachydermes mécaniques ; le rapport de Del Toro à ses robots et ses créatures est plus charnel qu'il n'y paraît, et définitivement plus contrasté que chez Michael Bay, qui doit tirer la tronche devant ce que parvient à susciter del Toro avec son tonnerre mécanique. Ici aussi, c'est ILM, le studio de Georges Lucas, qui s'occupe de la majorité des effets visuels du film, infiniment plus beaux et lisibles que chez le réalisateur du futur Transformers 4.
Tout au plus peut-on regretter que le film ne soit pas une adaptation ouverte de Evangelion et de la cohorte d'animés parlant monstres et mechas, mais le film de del Toro synthétise une grande majorité des thèmes et des enjeux des productions japonaises en les intégrant harmonieusement dans une intrigue assez audacieuse pour un spectacle certes un peu trop calibré, mais pleine de surprises : le film est un puit béant de fantastique généreux, mêlé à un effort de science-fiction inspiré et interrogeant son spectateur avant que le fracas des épaves contre la chair visqueuse de créatures de mythologies, entre Kraken et terreurs des fonds marins, ne ramène le spectateur à l'ordre.
Gareth Edwards, réalisateur du Godzilla actuellement en tournage (second remake américain à ce jour, prévu pour 2014) a du souci à se faire : Guillermo prend une avance considérable et on imagine mal un autre film de monstres avoir autant de cœur et de couilles. Pourtant, dans la grande déveine qui le caractérise, Del Toro est en train de se prendre une méchante claque au box-office américain. Quand, classiquement, ce genre de blockbuster devrait rafler la première place en terme de fréquentation, Pacific Rim s'est retrouvé 3ème pour son premier week-end d'exploitation, derrière deux suites de comédies qu'on imagine (gratuitement) toutes pourries.
Accroche-toi Guillermo, les vrais fans sont avec toi.
Trailer :
*Flesh and steel est le nom du documentaire consacré à RoboCop, disponible sur la majorité des versions du DVD et en ligne : un autre exemple d'homme dans la machine.
- + de pistes :
- Un mini-avis sur The Brothers Bloom, présent dans le top 2009 (numéro 6)
- La critique de Transformers 3 (Michael Bay)
- Pour mesurer tout le star power de Idris Elba, dirigez-vous vers la série Luther (saison 1 + saison 2)
- La critique de Transformers 3 (Michael Bay)
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